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Étude sur l’adaptation au changement climatique du massif des Maures

Le massif des Maures est un massif de 190 000 ha, dont 69 % est boisé. Il abrite une grande richesse faunistique et floristique, avec notamment le chêne-liège, chêne vert, chêne pubescent, pin d’Alep, pin maritime, pin pignon et châtaignier, accompagnés d’un cortège arbustif et herbacé caractéristique : arbousier, bruyère, cistes, myrte, euphorbe… C’est un territoire à la fois riche et essentiel pour la population locale, présentant de forts enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

 

Ce massif a évolué dans le temps, passant d’un lieu de forte activité à n’être plus qu’un paysage. Les problématiques ont alors suivi cette évolution : d’un massif exploité, employant un grand nombre de travailleurs, à un massif moins valorisé. Il a ainsi perdu en dynamisme et en vie. Une bonne partie est laissée à l’abandon, favorisant l’augmentation du nombre d’arbres, d’arbustes et de biomasse. Cela accentue la compétition pour l’eau et accroît le risque incendie. En parallèle, les températures augmentent et les précipitations deviennent plus concentrées et plus intenses. Les peuplements forestiers sont donc confrontés à de forts épisodes de sécheresse impactant leur fonctionnement et leur développement.

Dans ce contexte, le massif apparaît de plus en plus vulnérable, alors même que ses enjeux économiques, sociaux et environnementaux restent nombreux

Les acteurs et les institutions conscients des difficultés auxquelles le territoire devra faire face dans les années à venir soulignent l’urgence de la situation, et l’importance de mettre en place des stratégies de gestion forestière adaptative. 

C’est dans ce contexte et dans le cadre du Fonds Vert que le Syndicat Mixte du Massif des Maures (SMMM) a lancé un projet de diagnostic de vulnérabilité du massif des Maures afin de mesurer l’état et évaluer le potentiel de résilience du massif forestier face au changement climatique et aux aléas naturels. Le SMMM a confié à Forêt Modèle de Provence la mission d’accompagnement et d’appui technique dans le cadre de ce projet.

 

État des lieux de la santé du chêne-liège dans le massif

Ainsi, un état des lieux de la santé du chêne-liège, un peuplement emblématique du massif a été effectué. En effet, présent sur 40 % du massif, il a longtemps soutenu une économie importante pour la région. Il porte donc une valeur forte, à la fois économique et culturelle. Cet état des lieux repose sur l’observation de 18 placettes issues du projet IRISE, mené par le CIRAD entre 2006 et 2009. L’un des principaux objectifs de ce projet européen était d’évaluer l’impact de la répétition des feux de forêt sur le sol et la végétation, en termes de biodiversité, de bilan carbone et de dégradation générale des potentialités de l’écosystème. 

Dans le cadre du projet sur l’adaptation du massif des Maures au changement climatique, il a été décidé d’y réaliser de nouvelles analyses. Le changement climatique est susceptible de modifier l’ampleur et la récurrence des incendies. Il est donc intéressant d’étudier le lien entre la fréquence et l’ancienneté des feux avec l’état de santé des peuplements. 

Les placettes ont plusieurs historiques de feu : 

      • Trois régimes d’incendies sur les 50 dernières années (nombreux = 3 à 5 feux, peu nombreux = 1 à 2 feux, témoin = sans feu)
      • Trois modalités de date du dernier feu (très récent = 9 mois à 1 an, récent = 3 ans, ancien = 15 à 25 ans). 
      • Les placettes témoins, quant à elles, n’avaient pas brûlé depuis plus de 50 ans. 

Pour évaluer l’état de santé des arbres, le protocole DEPERIS a été choisi. Ce protocole est une méthode d’estimation de l’état des houppiers, commun pour l’ensemble des forêts européennes et calibré pour chacune de leurs principales espèces forestières. Il permet de répondre à deux questions stratégiques :

      • Quelle est la situation sanitaire actuelle d’une ou plusieurs essences à une échelle définie ?
      • Comment cette situation évolue-t-elle dans le temps ?

La méthode repose sur deux critères visibles et durables qui décrivent l’aspect du houppier : la mortalité des branches et le manque de ramification (ou manque d’aiguilles chez les résineux). Ces deux critères sont complémentaires. Ils s’observent dans le houppier fonctionnel, hors zone de concurrence, afin d’éviter l’incidence des voisins ou les effets naturels de sénescence. Pour chacun de ces deux critères, une note de 0 à 5 est attribuée.

En complément des observations sanitaires réalisées avec le protocole DEPERIS, des relevés détaillés ont été effectués sur l’ensemble de la strate arborée de chaque placette. Ces relevés visaient à caractériser la composition, la structure et la vitalité du peuplement. Pour chaque arbre présent, les informations suivantes ont été consignées :

        • Le nombre d’arbres morts, qu’ils soient sur pied ou à terre, accompagné de la mesure de leur diamètre à 1,30 m de hauteur ;
        • Le nombre d’individus vivants et leur diamètre, permettant d’estimer la densité et la structure du peuplement ;
        • Le nombre total de rejets présents sur la placette, indicateur clé de la capacité de régénération post-incendie ;
        • Enfin, chaque individu vivant, rejets compris, a reçu une note de santé globale comprise entre 1 et 5 (1 = arbre très dépérissant, 5 = arbre en parfaite santé). Cette notation intègre plusieurs critères, dont ceux du protocole DEPERIS (taux de branches mortes, déficit de ramifications), auxquels s’ajoute le déficit foliaire global, afin de rendre compte de l’état physiologique général de l’arbre.

 

Ainsi plusieurs conclusions ont pu être tirées de ces relevés :

Globalement, l’état de santé des peuplements de chênes-lièges n’est pas très bon avec des notes DEPERIS plutôt hautes. Cette tendance se retrouve aussi bien dans les zones brûlées que dans les zones témoins. Cela montre que le passage du feu n’est pas le seul facteur responsable du dépérissement observé : la concurrence entre individus et les épisodes répétés de sécheresse jouent également un rôle important.

On constate, en s’appuyant sur les données de dépérissement issues du Département Santé des Forêts (DSF), que la tendance est à la hausse, avec des peuplements qui se dégradent au fil du temps.

Concernant les incendies, l’impact à court terme est clairement négatif : les placettes qui ont subi un feu récent présentent un taux de mortalité plus élevé. En revanche, les arbres qui ont survécu se trouvent souvent en meilleure santé que ceux des zones témoins et des zones d’anciens feux. Cela peut s’expliquer notamment par le contexte climatique dans lequel ces événements ont eu lieu. Les peuplements ayant brulé entre 2003 et 2007, ont subi en plus du passage de l’incendie une période de sécheresse très marquée (période 2003-2007 : −21 % de pluie par rapport à la moyenne) provoquant une forte mortalité. Mais les années qui ont suivi ont été plus favorables sur le plan hydrique (+23 % entre 2008 et 2014), ce qui a permis aux individus restants de mieux se développer. De plus, la réduction de la biomasse liée au feu a limité la concurrence, notamment pour l’accès à l’eau, ce qui a contribué à améliorer leur état de santé. À l’inverse, les placettes qui ont brûlé il y a plus longtemps n’ont pas bénéficié de cet effet de réduction de la compétition, et ont cumulé plusieurs périodes de sécheresse sans “pause” favorable. Quant aux témoins, qui n’ont pas connu d’incendie depuis longtemps, leur taux de mortalité est plus faible, les arbres sont tous âgés et ont un déséquilibre du ratio racines/houppier, la densité reste élevée et la biomasse importante, ce qui engendre une compétition forte et une santé globale moins bonne.

Le passage du feu, même s’il a des effets négatifs immédiats, peut donc avoir des effets positifs à moyen ou long terme. Il favorise notamment la production de rejets, qui sont souvent plus vigoureux et en meilleure santé. Ces rejets, en profitant d’un réseau racinaire déjà en place, sont aussi plus résistants à la sécheresse. On observe ainsi une certaine adaptation des peuplements après incendie.

Il est important de ne pas systématiquement considérer le feu comme une menace. Lorsqu’il intervient avec un intervalle suffisant entre deux passages, il peut participer à la régulation naturelle des peuplements, notamment en réduisant la biomasse et la compétition, ce qui améliore l’accès aux ressources pour les arbres restants. 

Par ailleurs, aucune différence significative n’a été relevée entre le nombre de feux et la santé ou la mortalité des peuplements. Cela montre que c’est surtout l’âge du dernier feu, combiné aux conditions climatiques, qui influence l’état des peuplements.

 

Tableau de synthèse des conclusions du suivie du peuplement chêne-liège

Rouge : négatif pour le massif / Vert : positif pour le massif 

 

Diagnostic partagé 

Plusieurs freins majeurs sont apparus : une ressource trop vulnérable aux aléas, des conditions hydrologiques difficiles à gérer, une accessibilité limitée, une faible rentabilité économique et une culture forestière qui disparaît. Le massif est de plus en plus laissé à l’abandon, ce qui fragilise encore ses peuplements.

Pour trouver des solutions face à cela, des déplacements ont été réalisés en Grèce, en Espagne, en Tunisie et au Canada, ainsi que des entretiens avec des acteurs locaux et des chercheurs. 

L’enjeu principal est de redonner de la valeur au massif car la protection et l’attention accordées à un territoire dépendent de la valeur qu’on lui accorde. Cela peut passer par la création de nouvelles filières, la valorisation du bois local, la recherche sur de nouveaux usages du chêne-liège de qualité médiocre (majoritaire désormais dans le massif suite à la diminution de la levée, puisqu’un liège qu’on ne lève pas tous les 12 ans, sa qualité se déprécie), la sensibilisation du public par de l’éducation à l’environnement ou encore à travers un tourisme durable et engagé. Sur le plan sylvicole et de l’aménagement, il est nécessaire d’éclaircir les peuplements tout en conservant un couvert, de les rajeunir progressivement, de mélanger les essences pour répartir les risques, de sélectionner les sites les plus favorables (écologiquement et en termes d’accès), d’introduire des espèces mieux adaptées au climat aride comme le caroubier, ou résistantes à certaines maladies, et de rester attentif aux expérimentations, notamment sur la lutte biologique contre les parasites. Concernant la gestion de l’eau, des aménagements comme des retenues collinaires ou des terrasses peuvent aider à gérer les pluies intenses et les périodes de sécheresse. Certaines associations végétales, comme la bruyère et l’arbousier, peuvent aussi capter l’humidité atmosphérique et améliorer les conditions hydriques du milieu.

En conclusion, de nombreuses actions sont possibles pour accompagner le massif dans ce contexte de changement climatique. Malgré la fragilité des peuplements et un climat qui tend vers les extrêmes, il reste possible d’agir pour réduire sa vulnérabilité et préparer la forêt de demain.

Il est important que les acteurs soient impliqués et qu’une synergie positive se mette en place. Même si les visions et les avis peuvent diverger, l’objectif reste le même pour tous : protéger le massif et en assurer sa pérennité. 

Lucie Le Cornet, Forêt Modèle de Provence

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