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La réaction de Jean-Laurent Félizia face aux incendies

Jean-Laurent Félizia est spécialiste du biome méditerranéen, paysagiste & pépiniériste (Mouvements et Paysages), et depuis mars 2025 secrétaire général de Forêt Modèle de Provence

Face aux récents incendies et aux hectares touchés, est-ce que l’on manque de moyens ? 

Le président de la République avait annoncé en 2022 un investissement massif pour que très prochainement, en tout cas dans des délais relativement court, on puisse compter sur 4 canadairs de plus sur un front d’incendie de forêt qui n’a de cesse de s’élargir. On sait très bien que c’est pratiquement lors de la première demi-heure qu’après l’incendie se soit déclaré que l’on arrive à le fixer voir à l’éteindre, au-delà, ça devient une catastrophe naturelle et on est bien au-delà d’un simple incendie de forêt. La Région a mis les moyens puisqu’elle a étendu les bases depuis lesquelles aujourd’hui on a à la fois les hélicoptères et les autres moyens de lutte contre le feu, il va de soi que dans les années à venir, les Canadairs vont devenir de plus en plus important pour pouvoir assister au sol les pompiers qui vont prendre des risques dans des massifs souvent scabreux, escarpés, où l’accès est rendu quasiment impossible. Donc effectivement à l’heure actuelle par rapport à une biomasse qui a progressé grâce à un printemps très pluvieux, on manque cruellement de moyens.*

*NDLR : Le Président de la République Emmanuel Macron avait annoncé effectivement en 2022 un investissement massif pour que d’ici à la fin du quinquennat les 12 canadairs déjà en service soient remplacés et que leur nombre soit porté à 16, 3 ans après, seuls 2 ont été commandés.

Dans l’Aude, à St-Laurent du Var, à Fréjus, à Marseille, les incendies touchent des zones habités, la forêt est-elle trop proche des villes ? 

C’est vrai que c’est un dilemme de se poser la question quand on voit ces zones là où l’incendie a touché des zones péri-urbaines, un dilemme de savoir si ce sont les forêts qui ont progressés, si c’est la ville qui a avancé ou si c’est les zones agricoles qui ont perdu de leur périmètre d’empreint après la déprise des années 70 et l’exode rural des années 50. En réalité, aujourd’hui on assiste à une mosaïque de territoire avec des forêts, un mitage de l’urbanisation qui date d’avant la loi littoral et notamment parce que l’étalement urbain faisait partie des préoccupations de la plupart des territoires et des élus. La problématique c’est plutôt comment habiter la forêt, comment habiter avec la forêt et comment trouver des obligations légales de débroussaillement qui soient les plus efficaces, les plus pertinentes dans les zones périurbaines et pas forcément aussi importantes et excessives dans des zones typiquement forestières. 

Quelles solutions mettre en œuvre en sachant, que comme le dit l’écologue François Pimont (ingénieur de recherche à l’INRAE) dans le quotidien Le Monde, les incendies d’ici à la fin du siècle risquent de double voir tripler en France avec un réchauffement climatique de +4 degrés avec une saison plus longue ?

C’est bien de citer l’écologue François Pimont parce qu’il a souvent raison quand il aborde les sujets de société qui touchent à l’écologie urbaine ou à l’écologie des territoires. Ce réchauffement climatique, malheureusement, va atteindre les 4 degrés malgré les Accords de Paris qui auraient normalement dû permettre à notre civilisation de ralentir ce réchauffement, en tout cas de le maintenir entre 1,5 et 2,2 degrés, ce qui semble être compromis aujourd’hui, nous n’avons pas réussi à aller vers une décarbonation de nos quotidiens. Pour autant, la forêt va jouer un rôle important, elle va jouer un rôle de tampon thermique aux abords de nos cités, elle va jouer un rôle de corridor écologique pour l’agriculture, elle va jouer aussi un rôle de puit de carbone et d’îlot de fraicheur en général, et c’est surtout elle qui va sans doute nous aider à mieux respirer, à mieux vivre dans les 50 prochaines années. Il faut penser un usage de la forêt qui serait à la fois récréatif et productif en terme d’oxygènes, en terme de matières premières, de manière responsable et vertueuse pas comme la société du monde de cette économie forestière d’il y a 100 ans qui voulait lancer de grands plans de production forestière de manière très productive. Donc effectivement, il y a à faire avec la forêt et non pas à aller contre la forêt où qu’elle se trouve sur le territoire. 

La forêt méditerranéenne est résiliente face au feu s’il n’excède pas un feu tous les 25 ans, la faune moins, quel avenir pour nos paysages ? et quelles réactions après un feu doit-on avoir ?

Alors si on peut effectivement considérer qu’une forêt méditerranéenne est résiliente par rapport à la préexistence du feu, puisqu’en fait on sait très bien que les stratégies d’adaptation au feu ont commis depuis très longtemps un cortège floristique qui se veut finalement en attente par rapport à une fréquence du passage du feu qui serait raisonnable de manière à pouvoir configurer un paysage depuis la pelouse jusqu’à la forêt méditerranéenne établie, il faudrait cependant se garder toujours d’utiliser ce mot de résilience car c’est un mot qui devient un peu valise et même si la résilience de cette forêt est naturelle dans son comportement, je pense que la résilience doit provenir de celles et ceux qui vivent au contact de cette forêt, qui vivent de la forêt, qui vivent avec la forêt dans leur périmètre quotidien, que ce soit la ville, les villages, les campagnes, les zones péri-urbaines, avoir finalement un comportement comme ça peut déjà se rencontrer dans certains pays à climat méditerranéen où l’on voit que le feu n’a plus cette place diabolique dans le quotidien et qu’au contraire à chaque fois que le feu passe sur le mattoral chilien ou sur le fynbos sud-africain, tout de suite après, tout ce qui se met en place est quelque chose de plutôt vertueux, adapté, qui accompagne la forêt. Chez nous aussi on a un système qui s’appelle la fascine, quand on fait des coupes sur des sujets végétaux qui ont le sait ne repartiront pas, ne sont pas des pyrophytes actives ou passives, mais en l’occurrence on sait que c’est grâce à cette matière végétal que l’on va d’abord protéger les sols, parce que c’est eux qu’il faut renforcer rapidement pour constituer le socle et le support de la forêt à venir. (voir exemple ci-dessous, dans une suberaie) 

Quelle vision d’une Forêt Modèle portée face à la récurrence des risques naturels ?

La vision que Forêt Modèle de Provence doit supporter au sens militant du terme c’est d’abord d’être aux côtés de celles et ceux qui viennent au secours de la forêt, comme c’est le cas depuis quelques jours, je veux parler de tous les dispositifs liés aux sapeurs pompiers, au CCFF, aux gardes régionaux qui sont là aussi pour prévenir d’un déclenchement de feu, de la moindre fumerole, et de toutes celles et de tous ceux qui pendant cette période estivale et même d’une manière périphérique à l’été sont au pieds levé pour pouvoir réagir rapidement. Et Forêt Modèle c’est aussi cette association qui structure ces actions autour d’une pédagogie appliquée, autour aussi de facilitateur de projets, quand il s’agit par exemple d’intervenir après le passage d’un incendie et donner quelques méthodologies en toute humilité de comment réparer la forêt et d’en tout cas comment l’accompagner. Et puis c’est mettre en réseau la transition climatique avec d’autres pays qui ont aussi un modèle de forêts, je veux parler du Réseau International des Forêts Modèles, où on a échangé des expériences, du vécu, car le feu n’est pas que propre au climat méditerranéen, il a aussi sa zone d’empreint dans d’autres zones géographiques du monde et il intervient comme élément régénérateur mais aussi destructeur de certains écosystèmes. 

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